Tête de rame : portrait n°1
A la rencontre d’inconnus, croisés dans les transports en commun, et croqués dans leur quotidien de voyageurs du matin et du soir, avec une petite touche d’imagination en plus. Petites capsules temporelles, reflets de notre temps.
Cette femme doit aimer l’ordre. Ses pieds sont sagement alignés, ses jambes serrées, son manteau boutonné, ceint d’une écharpe qui met son cou à l’abri des premiers frimas de l’automne. Ses cheveux sont courts, bien coiffés, pas une mèche qui dépasse. Son sac est posé sur ses genoux, bien fermé. A l’abri. Et chose surprenante, si l’on prête attention à ses voisins de rame qui pianotent frénétiquement sur leur smartphone, elle est plongée dans un livre. « Les jours de mon abandon », d’Elena Ferrante. Un livre avec des pages, fait avec du papier, édité dans une imprimerie par des ouvriers imprimeurs. Pas une fois elle ne lèvera le nez. Peut-être y voit-elle un parallèle avec sa vie à elle, « faites de certitudes conjugales et de petits rituels domestiques » comme on peut le lire au dos du livre. A-t-elle également 38 ans, deux enfants et un bel appartement ? 15 ans de mariage et un homme qui ne veut plus d’elle ? Ses mains fines, aux ongles impeccables, portent des bagues. Autant de témoins de périodes de sa vie. Probablement une bague de famille, se transmettant de mère en fille. Et d’autres liées à l’histoire de son couple, les fiançailles, le mariage, l’anniversaire de mariage. Ces bagues qui s’oxydent inexorablement à mesure que l’usure du temps se penche sur les sentiments. Femme anonyme, noyée parmi les anonymes, comme cette Elena Ferrante dont personne ne sait précisément qui se cache derrière ce pseudonyme. Una poverella que j’appellerai Olga. Bonne journée Olga et que la vie te soit douce.