
Tête de rame : portrait n°15
A la rencontre d’inconnus, croisés dans les transports en commun, et croqués dans leur quotidien de voyageurs du matin et du soir, avec une petite touche d’imagination en plus. Petites capsules temporelles, reflets de notre temps.
Il y a une dizaine d’heures, il devait être sur le pont de son multicoque, au large des Açores. La barbe qui lui dévore le visage, les traits burinés, les cheveux frisés poivre et sel, en bataille. Pour peu, on serait presque étonné de ne pas le voir en bottes et en ciré. Il porte un pantalon rouille, un pull en grosse laine, un anorak bleu clair avec l’intérieur de couleur orange. Une couleur voyante dans l’hypothèse où il faille le retrouver en mer après un dessalage ? Avec son gros sac de marin, on sent bien que cette rame n’est pas vraiment son élément naturel. En même temps, que fait un concurrent du Vendée Globe lorsque, après abandon, il revient au port ? Il reprend sa vie. Et sa vie, c’est peut-être une maison, et une famille à Chaville qui attend le retour du marin. Dans ses yeux clairs, je lis une sorte d’incompréhension. Comme le choc d’être passé d’une immensité, face à lui-même, à cette rame remplie de personnes. Il ne comprend pas l’immobilisme de leur vie, ils ne peuvent pas comprendre la tristesse qui l’habite.